Dans la méthode, et dans l’Aikido d’une manière générale, les coupes shomen et yokomen sont enseignées comme deux attaques différentes du sabre.

Pourtant, la différence qui existe entre shomen uchi et yokomen uchi ne réside pas dans l’intention de faire shomen ou dans l’intention de faire yokomen, comme s’il s’agissait simplement là de deux options possibles, comme on décide le matin de prendre un thé plutôt qu’un café.

Je m’explique.

Shomen uchi consiste à couper avec le sabre dans une verticale parfaite. Ceci n’est possible que s’il n’y a pas de changement de garde au moment de la frappe. Si je me trouve dans une position telle que je peux abattre mon sabre sans avoir à faire un pas vers l’avant ou vers l’arrière, alors la verticale peut être parfaite, et la coupe devra pour cette raison être appelée shomen.

En revanche, si la distance est telle que j’aie besoin, pour toucher ma cible, d’inverser mes hanches, en faisant par exemple un pas vers l’avant, alors un élément biomécanique lié à ce changement de hanmi vient influencer et modifier le mouvement.

Car les passages simultanés de la hanche arrière vers l’avant, et de la hanche avant vers l’arrière, dessinent autour de la colonne vertébrale un mouvement circulaire inévitable, qui a évidemment peu d’amplitude, mais suffisamment tout de même pour être transmis, via les liaisons osseuses et les chaînes musculaires, à la partie supérieure du corps qui tient le sabre. Quand le sabre descend dans ce moment précis, il ne peut alors faire autrement qu’adopter un très léger angle qui est la conséquence absolument nécessaire de la faible rotation initiale engendrée par le changement de hanches.

Et bien, c’est cela qu’on appelle yokomen, et ce n’est que cela.

La différence entre yokomen et shomen n’est donc pas la conséquence d’un choix libre de « frapper yokomen » plutôt que de « frapper shomen », elle est uniquement le résultat de l’angulation du corps provoquée par l’inversion des hanches. Et c’est pourquoi l’angle de coupe pris par le sabre en yokomen est nécessairement peu important : parce qu’il est lié à cette inversion des hanches et à cela seulement.

On peut dès lors prendre comme référence la règle suivante : s’il y a inversion des hanches, la coupe du sabre est nécessairement yokomen.

La règle symétrique est tout aussi valable : s’il n’y a pas inversion des hanches, la coupe du sabre est nécessairement shomen. En effet, couper yokomen sans inversion des hanches reviendrait à couper avec un angle qui ne serait pas une nécessité, pas issu du mouvement des hanches, et où les bras agiraient donc indépendamment de la partie basse du corps. Cela en Aikido ce n’est pas possible, c’est l’erreur classique des débutants qui balancent le sabre autour de leur tête avec de grands mouvement de bras qui les font ressembler à des moulins, parce qu’ils ne comprennent pas l’unicité de shomen et de yokomen.

Il est donc conforme à la réalité de dire que yokomen n’est jamais qu’un shomen accompli en inversant les hanches. Et cette vérité, si l’on prend la peine d’y réfléchir, signifie que le sabre japonais n’a qu’une seule coupe, dont l’angulation peut certes varier de quelques degrés, mais seulement en vertu d’une nécessité liée à la biomécanique, et pas du tout par la « décision » du sabreur de donner un angle à sa coupe.

Ceci a une grande importance, car on s’approche ici de deux idées fondamentales de l’Aikido :

  • La première c’est que la technique est une et indivisible, et que ce sont seulement ses modalités d’application qui peuvent donner l’illusion qu’elle est multiple. L’Aikido parle du Un, et il n’y a qu’une coupe en Aikido.
  • La seconde, c’est que l’homme ne choisit pas la technique de combat la plus appropriée (car yokomen est effectivement plus approprié que shomen dans certaines situations), c’est au contraire cette technique qui s’impose à lui en vertu de critères indépendants de sa volonté, et qui pourtant proposent la réponse la plus pertinente au problème particulier auquel il se trouve confronté.

Et il n’y a pas loin de là à l’idée que l’homme en harmonie avec l’univers ne fait que laisser couler dans tout son être une force qui le dépasse infiniment, dont les ressorts s’imposent à lui comme autant de nécessités supra humaines, mais qui s’exprime néanmoins à travers lui dans la mesure où il ne cherche pas à s’opposer, par une volonté maladroite et intempestive, au cours naturel des choses.

Voilà comment, à partir d’une simple technique de coupe au sabre, on en vient à mieux comprendre la place de l’homme dans l’univers.

Philippe Voarino, octobre 2017.