Ce dossier technique est un prolongement du dossier 75. Il tente d’insister, à partir de l’exemple concret du kumitachi n°5, sur le lien qui unit shomen et yokomen.

Pour comprendre la relation qui existe entre shomen et yokomen, il faut tenir compte de deux éléments :

  • le maai, c’est-à-dire l’intervalle d’espace et de temps qui sépare uchi-tachi d’uke-tachi,
  • l’ouverture, tant il est vrai qu’il n’est possible d’entrer une frappe que dans une ouverture de la garde adverse.

Le premier temps du cinquième kumitachi est un bon exemple de la relation qui se noue quand deux sabres s’opposent.
Si uchi tachi peut attaquer shomen uchi avec le suburi n°1, c’est parce que la distance est courte et qu’il n’a pas besoin de prendre un pas vers l’avant (sans quoi il devrait attaquer yokomen avec le suburi n°5). Mais c’est aussi parce que la pointe du sabre d’uke-tachi ne « ferme » plus l’axe central, comme elle est censée le faire dans la garde chudan, et qu’une ouverture est ainsi créée.

Attention toutefois, si la pointe du sabre d’uke-tachi ne ferme plus l’axe central de son corps, ce n’est pas parce que sa garde est mauvaise. Ce n’est pas davantage parce qu’il feinte une ouverture pour attirer uchi-tachi dans un piège, il n’y a pas de feintes en Aikido. Non, la pointe du sabre d’uke-tachi s’écarte parce que ce dernier a déjà initié son attaque yokomen, et que de ce fait son sabre a quitté l’axe vertical pour entamer la rotation yokomen, ouvrant de la sorte nécessairement la pointe vers la droite. Uchi-tachi lance son attaque shomen dans cette ouverture, c’est pourquoi il a un temps de retard sur uke-tachi, et c’est pour cette raison que le yokomen a une chance d’arriver avant le shomen.

Contrairement aux apparences, ce n’est donc pas le yokomen d’uke-tachi qui répond au shomen d’uchi-tachi, c’est l’inverse, c’est le shomen d’uchi-tachi qui répond au yokomen d’uke-tachi.

Cependant, l’instant de la « décision » est subtil, ce qui se joue dans ces quelques dixièmes de seconde est tellement éphémère qu’il n’est pas possible d’attribuer l’intention de l’attaque à l’un ou à l’autre. Il est illusoire de croire que l’on peut raisonner ici en termes d’attaque et de défense, et c’est pourquoi au passage il n’est pas juste de présenter l’Aikido comme un art de défense.

L’idée qu’attaque et défense sont des notions séparées, est pertinente seulement dans un monde où la dualité est la règle. Mais l’Aikido parle justement d’un monde où la dualité n’est que l’aspect extérieur et superficiel d’une unité plus profonde.

Il faut donc concevoir shomen et yokomen comme les éléments complémentaires d’une forme martiale qui apparaît seulement quand ces éléments fusionnent pour exprimer une réalité unique. Les Chinois disent yin et yang, O Sensei préférait parler de l’interaction des divinités Kamimusubi et Takamimusubi.

S’il faut absolument dire qui d’uchi-tachi ou d’uke-tachi doit sortir vivant de l’engagement, la seule réponse possible est celle-ci : le vainqueur est celui dont l’esprit danse au plus près de Kamimusubi et Takamimusubi.

BONUS : Kumitachi n°5 dans les 360°

Nous renvoyons aux dossiers 41 à 48 qui ont expliqué le kumitachi n°5 dans le détail.
Cette vidéo complète la série en indiquant une manière possible de travailler les six frappes du kumitachi avec quatre adversaires seulement.

Philippe Voarino, novembre 2017.