Le corps, ça devrait vous épater davantage. — Jacques Lacan à ses élèves.

Nous avons vu dans HV #3 que c’est à Euclide que doit-être attribuée la première publication, vers 300 av JC, de la construction rigoureuse de la section dorée. C’est grâce à sa démonstration que Claude Ptolémée résout, quatre siècles plus tard dans l’Almageste, le problème graphique de l’inscription du pentagone régulier dans un cercle donné.

Construisons donc ce pentagone dans le cercle de l’homme de Vitruve, comme Léonard de Vinci a dû le faire lui-même, et essayons de déterminer l’angle d’ouverture qu’il a choisi pour chaque jambe et pour chaque bras, puisque c’est par ce mouvement des bras et des jambes que cette figure semble nous faire signe et vouloir nous indiquer quelque chose depuis la fin du 15 ème siècle.

Commençons par le plus facile, l’angle de la jambe.
Nous possédons, depuis HV #2, le diamètre horizontal et le diamètre vertical (en rouge). Ils se croisent au nombril (O) qui est le centre du cercle. Le diamètre vertical est une tangente parfaite au talon gauche de

l’homme de Vitruve. Il suffit donc d’amener, à partir du centre du cercle (O), une autre tangente (flèche blanche G’OA’) au talon de cette même jambe gauche, dans sa nouvelle position sur le cercle, pour déterminer l’angle d’ouverture de la jambe adopté par Léonard de Vinci.
Il n’y a plus qu’à prendre un rapporteur et mesurer l’angle AOA’ : 23°.

Grâce à Ptolémée, nous possédons désormais la ligne (jaune) qui joint les deux sommets à l’horizontale du pentagone (CD), et dont s’est servi à l’évidence Léonard de Vinci pour dessiner les bras. Le croisement de cette dernière ligne avec l’axe vertical du corps (G) détermine le rectangle que Léonard a pris pour cadre de l’élévation du bras (GEC’F). La diagonale de ce rectangle (flèche blanche G’GC’) va donc nous donner la mesure de l’angle CGC’ qu’il a utilisé. Rapporteur : 23°.

Nous aurions pu, dans ce dernier cas, nous contenter de mesurer au rapporteur l’angle formé par les deux flèches blanches, qui se coupent en effet à angle droit. Le triangle rectangle A’G’C’ est la rotation, autour du centre O du cercle (nombril), du triangle rectangle AGC. Les arcs AA’ et CC’ étant identiques pour une rotation donnée, on peut évidemment déduire l’un de l’autre.

Le triangle rectangle initial ABC est engendré dans la dimension verticale à partir des pieds de l’homme, ce que nous avons représenté par ⇪. Il naît et croît comme l’amplification, dans l’espace du cercle, de ce fameux triangle rectangle remarquable 3-4-5 que représente la position des pieds en hito e mi, et que nous avons évoqué dans HV #3. On aura la confirmation de cette filiation, en vérifiant que le triangle AGC est bien lui aussi un triangle rectangle remarquable 3-4-5 :

En conséquence de ce qui précède, il apparaît que l’homme de Vitruve livre deux informations fondamentales pour les pratiquants d’Aikido qui veulent comprendre les explications d’O Sensei concernant l’union du triangle du cercle et du carré, et surtout qui veulent mettre concrètement cette connaissance en pratique à l’entraînement. Nous allons les formuler comme suit :

1 – Parce que le nombre de la proportion de l’homme (analogia) est φ, ses pieds en hito-e-mi forment un triangle d’or 3-4-5. Parce qu’il en est ainsi, quand l’homme se met physiquement en mouvement en respectant avec ses pieds cette loi du triangle, il est capable de produire – dans le cadre matériel qui est le sien, c'est-à-dire dans le carré – un mouvement analogue à celui de ce même triangle 3- 4-5 quand il se met en rotation.

Mais il faut comprendre maintenant cette notion essentielle : le cercle de l’homme de Vitruve n’existe pas avant que le triangle ne se mette en mouvement. C’est le triangle, par sa rotation autour du centre de l’homme, qui fait apparaître le cercle – qui devient cercle – par l’infinité de points (A, A’, C, C’…) qu’il dessine en circonférence par cette rotation. En Aikido, le passage du triangle au cercle s’effectue de la même manière, mais sur le plan horizontal, qui est celui du déplacement des pieds au sol.

Cette métamorphose horizontale du triangle en cercle se combine alors avec la forme immuablement circulaire de la technique d’Aikido (ikkyo, shiho nage, kaiten nage…), qui se situe quant à elle sur le plan vertical. Cette union de la circularité horizontale et de la circularité verticale est réalisée de manière dynamique, c'est-à-dire dans la multiplicité des directions de l’espace, et dans un mouvement incessant. C’est ainsi que naît la sphère virtuelle dans laquelle s’inscrivent les gestes et déplacements du pratiquant d’Aikido qui respecte son corps, c'est-à-dire qui respecte le nombre.

2 – L’angle de 23°, indiqué par l’homme de Vitruve avec une rigueur mathématique, et avec une précision qui ne pourrait pas être plus grande pour un dessin à la plume, est l’angle de l’inclinaison de la terre et celui de l’écliptique (23°30’ à l’époque de Léonard de Vinci, et 23°26’ en 2013).

C’est remarquable, et d’autant plus si l’on comprend bien que cet angle de 23° n’est pas le résultat du choix arbitraire de Léonard de Vinci. Il est obtenu au moyen d’une construction indépendante de toute préférence humaine, une construction qui est seulement la conséquence mathématique de la faculté qu’ont les proportions du corps humain de s’harmoniser de manière géométrique avec le triangle, le cercle et le carré, en vertu de leur rapport au nombre d’or.

La découverte que l’angle indiqué par l’homme de Vitruve soit précisément celui de l’inclinaison de la terre et de l’écliptique est très étonnante, mais ce qui est beaucoup plus étonnant encore c’est qu’il ne peut, en aucune manière, en être autrement. En effet, l’angle de 23° est le seul point de contact possible de l’extrémité du bras de l’Homme de Vitruve avec le cercle circonscrit, à partir du centre de rotation O’ (articulation de l’épaule), qui permette de relier, en ligne droite, l’axe vertical du corps (G) au point de contact (H) du cercle circonscrit : O’H est le seul rayon possible.

Ce résultat, qui peut être vérifié sur la figure ci-dessous, n’est donc pas un caprice de l’homme, c’est la conséquence logique nécessaire de l’application géométrique des proportions du corps humain.

Les lois de la géométrie établissent donc une relation quantifiable entre des choses apparemment aussi éloignées que les proportions du corps humain et le plan de l’écliptique, c'est-à-dire le grand cercle de la sphère céleste. Et les propos du Fondateur cessent du coup d’être une métaphore obscure :

L’univers et le corps humain sont une même chose. Si l’on ne sait pas cela on ne comprend pas l’Aiki. Parce que l’Aiki est issu du mouvement de l’ensemble de l’univers.
— O Sensei Morihei Ueshiba, Takemusu Aiki, Vol.III, p.83, Editions du Cénacle de France

En effet, grâce au dessin de Léonard de Vinci, est désormais apportée la preuve géométrique que l’angle de 23° qui gère la course de la terre autour du soleil est en même temps le seul angle qui permette de mettre en relation l’axe vertical du corps humain avec le cercle, par l’intermédiaire des bras.

Or la rotation sur lui-même de l’axe vertical du corps est l’origine de tout mouvement d’Aikido, c’est le principe et le moteur de l’action, et c’est le chemin qu’utilise le ki. L’énergie mise en œuvre par cette rotation doit ensuite être transmise à l’extrémité des bras, c'est-à-dire à la circonférence du cercle, qui est le lieu où la technique prend forme. Dès lors, dans la mesure où l’angle de 23° est le seul angle qui permette une transmission au cercle de l’énergie générée par cet axe, il y a une raison physique, une nécessité, à ce qu’il soit respecté dans chaque mouvement d’Aikido :

O Sensei et l’angle de 23°

Nous avons, je crois, beaucoup avancé dans ce dossier 4, et de manière concrète et utilisable par tout pratiquant d’Aikido. Cependant tout n’a pas été dit, et tous ceux qui ont lu sur ce site les 23 dossiers consacrés aux Kajos ont bien-sûr remarqué que l’angle de 23° indiqué par l’homme de Vitruve est le même que l’angle de 23° indiqué dans les kajos comme clef des six directions (roppo). Ce sera évidemment le point de départ du prochain dossier.

Philippe Voarino, octobre 2013