Dans un combat, toutes sortes de coups sont permis au service d’une seule cause : la victoire.

Voilà ce qu’explique le Premier Ministre russe dans un DVD intitulé « Apprenez le judo avec Vladimir Poutine » qui a également déclaré dans un entretien au Figaro que le Président français Nicolas Sarkozy était intéressé par les arts martiaux et souhaitait s’entraîner avec lui.

Depuis Cro-Magnon, l’homme se bat pour survivre et pour les avantages qui accompagnent plus ou moins la victoire sur autrui. Mais toutes choses sont liées dans notre univers, et il n’y a pas de victoire sans défaite. De Waterloo à Trafalgar on sait depuis Pierre Dac que les victoires des uns sont les défaites des autres.

Est-ce une victoire de ce type qui justifie dans l’esprit de monsieur Poutine que tous les coups soient permis ?

La formation que j’ai reçue à travers l’étude de l’Aikido me fait penser que vous devriez, Monsieur le Président, questionner les idées qui s’abritent derrière les mots de combat et de victoire employés par le Premier Ministre russe, avant de recevoir son enseignement en Judo, si telle est toutefois votre intention.

Il est bien sommaire de penser que le guerrier authentique se résume à sa capacité de passer sur le corps de son adversaire. Ce qui le caractérise est plus inattendu, c’est la connaissance claire et acquise d’expérience que l’esprit de conflit, quand bien même puisse-t-il donner l’avantage ici où là, n’a pas d’issue dans l’ordre naturel du monde. Et c’est pour ouvrir les consciences à ce point de vue paradoxal concernant un art de guerre que le Fondateur de l’Aikido utilisait la formule suivante : « Vous avez perdu à partir du moment où vous avez l’intention de m’attaquer. »

En effet, le caractère aléatoire de la victoire sur l’autre, contrairement à ce qui semble le plus évident, ne réside qu’en moindre mesure dans le fait que ce dernier puisse s’avérer plus fort ou plus fourbe. La défaite nait en réalité, et en profondeur, de la folie qui consiste à agir sans tenir compte des lois de l’univers.

Si je veux trancher mon adversaire d’un coup de sabre, je ne peux faire autrement que de lever ma lame avant de l’abattre ensuite sur lui. Cet instant là, est la conséquence nécessaire de mon intention et de mon action. Et c’est lui qui peut me coûter la vie, si en face de moi se trouve un guerrier capable de reconnaître les lois de l’univers et de s’y conformer. Car en cet instant précis, aussi éphémère soit-il, je suis totalement vulnérable.

Il ne faut surtout pas attacher à ce moment de fragilité une quelconque valeur morale. Il n’est pas question d’opposer au pragmatisme de Vladimir Poutine un argument éthique. Mais il faut comprendre qu’il n’est pas possible d’annuler cet instant de vulnérabilité par des trucs et des coups comme semble le penser M. Poutine. Parce que le problème n’est pas lié à la compétence ou au talent des individus, il résulte de la cohérence du système lui-même, de la logique interne à notre monde.

Celui qui ne peut ouvrir son esprit à une telle vision ne peut non plus accéder à la seule victoire qui vaille, à la victoire absolue. Car le moyen d’être toujours vainqueur existe bel et bien. Et l’art martial véritable ne se réduit pas à une technique de combat plus ou moins sophistiquée. L’art martial véritable trouve l’esprit à travers le corps et, par leur union, élève l’homme jusqu’à l’amener à comprendre quel doit être le seul objet digne de victoire.

Cet objet là, Monsieur le Président, et cet objectif, sont fort éloignés je le crains de ceux présentés dans la méthode de Judo de monsieur Poutine.

Philippe VOARINO, Bois le Vent, 11 novembre 2008