J’aimerais utiliser cette vidéo pour préciser la fonction de hito e mi. Contrairement à ce qui est souvent enseigné, hito e mi n’est pas une position d’Aikido, hito e mi est une transition d’Aikido.

Je m’explique. Une position est une attitude du corps au repos. Quand rien ne bouge, quand le corps tout entier est immobile, et qu’on ne peut discerner pour tout mouvement que le rythme régulier de la respiration, on dit alors que le corps est posé là d’une certaine manière, il est dans une position. En Aikido, la seule position du corps est hanmi (également appelée roppo si l’on souhaite mettre l’accent sur les étonnantes possibilités de déplacement qui existent à partir de cette garde triangulaire).

Il n’y a qu’une position du corps en Aikido, et c’est hanmi, c’est la garde unique de l’Aikido.

Qu’est-ce donc alors qu’hito e mi ? Hito e mi est un moment de la rotation du corps – à partir de la position hanmi – qui entraîne l’ouverture du pied avant. Cette ouverture permet dans la foulée le passage du pied arrière vers l’avant. C’est donc une figure du mouvement et du changement, et c’est pourquoi ce ne peut être une position.

Ce qui peut fait croire qu’il s’agit d’une position est l’habitude que les professeurs ont prise d’arrêter le mouvement pour montrer la position des pieds à ce moment de la rotation. Mais il n’y a là qu’une facilité pédagogique, la pause photographique d’un mouvement éphémère qui resterait invisible s’il n’était ainsi artificiellement extrait d’un processus continu. Ce genre de procédé pédagogique est utile pour comprendre ce qui se passe – et c’est le propos de la méthode – mais c’est aussi un risque d’erreur si l’on finit par assimiler hito e mi à une position, et par croire – comme je l’ai cru moi-même trop longtemps – qu’il existe deux positions en Aikido : hanmi et hito e mi.

Ce moment de la rotation est bien connu, et hito e mi est parfaitement repéré dans des techniques telles qu’ikkyo omote, shiho nage, kaiten nage etc. En revanche, hito e mi, bien que présent dans tous les mouvements où le pied arrière doit passer à l’avant, est plus difficile à repérer sur certaines techniques moins directes. Ushiro eri dori irimi nage est l’une d’entre-elles.

Dans l’exécution d’ushiro eri dori irimi nage, il est nécessaire dans un premier temps de pivoter à 180° à partir de la position hanmi. J’aimerais que chacun fasse cette expérience sur le tapis du salon, et pivote à 180° à partir de la position hanmi, de la manière dont cela doit être fait : c’est-à-dire sans déplacer les appuis, en gardant d’un bout à l’autre le contact des deux pieds au sol, et en pivotant sur la balle des pieds. On s’aperçoit immédiatement que le hanmi de départ se transforme en hito e mi à 180°. Il ne peut en être autrement puisque dans la position hanmi la balle du pied arrière est décalée par rapport au pied avant, et que la rotation à 180° sur la balle des deux pieds aboutit nécessairement, en inversant les pieds, à ouvrir le corps en hito e mi. Cette particularité va permettre le passage du pied arrière vers l’avant et dans le cas présent vers le dos d’uke.

Ceci est une loi de l’Aikido et doit être retenu comme tel : la transition hito e mi naît de position hanmi, hito e mi est la fille éphémère de hanmi. Voilà une des raisons pour lesquelles il est fondamental d’avoir en Aikido – avant toute autre considération – une position hanmi correcte. Sans hanmi initial, pas de hito e mi possible.

Pour eri dori irimi nage, les choses sont donc bien faites puisqu’une fois hito e mi atteint, il devient dès lors possible d’appliquer le principe irimi-tenkan, matérialisé par les deux pas classiques de la spirale d’O Sensei (ici dans le secteur arrière d’uke). On consultera « Au-delà de la méthode #71 » pour vérifier comment ce déplacement permet en même temps de gérer les attaques venant des quatre directions.

Dans tous les mouvements d’Aikido où le pied arrière doit passer vers l’avant, hito e mi est une condition nécessaire au respect du principe d’action (irimi-tenkan) de l’Aikido, c’est un mouvement transitoire qui n’est possible en tant que tel qu’à partir de la position hanmi.

Philippe Voarino, février 2018.