Tout comme les frappes 1 et 2 (cf. « Au-delà de la méthode #2», les frappes 3 et 4 respectent scrupuleusement le plan du suburi linéaire : hidari tsuki pour le temps 3 et shomen uchikomi pour le temps 4.

Mais désormais, ces quatre frappes ne s’effectuent plus en ligne, en reculant face à un adversaire unique qui attaque de manière répétitive. Chaque coup est destiné à un adversaire différent : dans l’art martial véritable on ne frappe pas deux fois de suite la même personne.

Dans la culture japonaise des arts martiaux, de la cérémonie du thé ou du théâtre Nô, tout comme dans le bouddhisme zen, il existe une expression qui signifie qu’il n’y a qu’une chance, et qu’on ne revient pas en arrière : « ichi- go ichi-e ». Chaque action est décisive, chaque moment est l’occasion d’une rencontre et d’une seule, il n’y a pas de place pour la répétition.

Or le kumitachi n°2 est l’exemple même, dans sa forme linéaire, du contraire de ce principe, c’est la mise en scène voulue, systématique, méthodique, d’actions répétitives d’avant en arrière avec la même personne. C’est pourquoi il ne peut pas s’agir encore de l’art martial véritable, c’est pourquoi on ne peut pas encore parler d’Aikido à ce stade de l’étude.

C’est seulement quand ce travail d’étude en ligne est mis en rotation selon les quatre directions qu’apparaît l’art martial véritable.

Le suburi linéaire est la simplification d’une réalité plus complexe, de la même manière qu’un planisphère est une représentation simplifiée (en deux dimensions) de la sphère terrestre (en trois dimensions). N’oublions pas qu’une simplification est commode à certains égards, mais qu’elle entraîne nécessairement une déformation. Cette déformation ne doit pas être perdue de vue dans la recherche de la vérité. Je rappelle l’exemple que j’ai déjà donné à ce sujet dans les « Kajo » : sur une carte du monde, l’Amérique du Sud semble plus petite que le Groenland, alors qu’elle est en réalité huit fois plus grande. C’est une conséquence inévitable de la simplification de Mercator.

Cela doit nous faire réfléchir sur la méthode que nous utilisons pour apprendre l’Aikido : sur son utilité incontestable, comme sur ses limites, parce que c’est une simplification. Et nous allons voir bien d’autres exemples que le kumitachi n°2.

Philippe Voarino, juin 2015