Comme elle sait bien, la femme qui accouche, ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. C’est un mystère la vie, pourquoi l’être se manifeste-t-il, pourquoi le non-être ne l’emporte-t-il pas ?

La femme qui accouche ne se perd pas dans ces questions, elle préfère agir, elle agit de la manière la plus juste et la plus parfaite, la plus souveraine : elle met au monde. Dans son ventre elle réunit pour un moment l’Eau et le Feu, la femme qui accouche est un temple, elle abrite l’arche d’alliance. Et l’enfant qui voit le jour est fils de la Terre et du Ciel, il porte une force qui touche à l’origine du monde, une force qui dépasse infiniment la jeune maman, mais qui a pourtant besoin d’elle pour que la vie soit transmise, comme un arbre a besoin de la terre pour exister. La femme qui accouche ne se trompe pas, elle remplit sa mission.

Qu’on ne vienne pas lui opposer la crainte d’un futur incertain, et toutes les raisons prosaïques et prudentes des sociétés vieillissantes. Dans la genèse du monde la prudence n’est pas de mise, c’est la prodigalité qui gouverne, l’ardeur, l’audace, la femme qui accouche est pleine d’audace, et c’est là sa raison.

Dans les yeux de la nouvelle maman brillent les étoiles d’un ciel d’été, elle n’a pas reculé. Avec courage, avec confiance, la belle Zellandine a embrassé son destin, elle a épousé sa nature profonde, elle s’est éveillée et quitte Perceforest pour accéder au trône de son bonheur. Elle est reine, autour d’elle on se réjouit, on célèbre la naissance, et moi qui suis étranger et ne sais rien de tout cela je m’émerveille sans qu’elle s’en doute, et je l’admire d’avoir fait ce choix éternel.

A la différence de la femme, l’homme n’a pas été conçu pour porter la vie, mais il arrive cependant qu’il accouche lui aussi. C’est ce qui se passe en Aikido par exemple. On n’y met pas au monde des êtres vivants bien entendu, on y fait naître des formes techniques éphémères, mais il s’agit du même chemin.

Pour se représenter véritablement ce que j’essaie de dire là, pour y voir autre chose qu’une vague image, il faut parvenir à la compréhension que les mouvements d’Aikido sont une manifestation de la même force, des mêmes lois, de la même justesse et de la même perfection qui font naître un enfant du sein de sa mère.

Une femme n’est pas maîtresse des lois qui lui permettent d’engendrer, elle les accepte et elle les accompagne. C’est avec la même humilité que le pratiquant d’Aikido doit accepter et accompagner les lois qui produisent un mouvement parfait. Pas plus que la femme il ne décide ces lois, comme elle il ne choisit rien, il suit la volonté de l’Univers, alors l’Univers peut s’écouler librement à travers son corps, et créer.

C’est en ce sens qu’O Sensei Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aikido, disait "Je ne suis rien, je suis l’Univers". Ce n’est pas rien en vérité d’être rien, c’est un objectif crucial, car la vision particulière qu’un individu peut avoir du monde, son idiosyncrasie si l’on veut, empêche la circulation en lui d’une énergie plus grande que la sienne. Or cette énergie primordiale a besoin d’être portée et délivrée, tout comme doit être porté et délivré un enfant. Aussi grand que soit l’Univers, et aussi petit que soit l’homme, ils ont besoin l’un de l’autre.

Trop souvent l’homme n’est pas capable de reconnaître la primauté des lois universelles, il cherche alors à être quelque chose pour soi. Il forge des lois à son idée et pense pouvoir organiser ses mouvements selon elles. Il devient comédien de la pièce de théâtre qu’il a montée à son goût, mais d’où l’Univers s’est retiré. Il joue un rôle, déguisé et masqué, dans une mascarade qui n’a plus d’Aikido que le nom. C’est l’Aikido moderne, et c’est la grande différence entre la femme qui accouche et l’homme qui fait naître une technique d’Aikido : l’homme peut éventuellement faire semblant, la femme, elle, ne peut pas, dans ce moment sacré entre tous elle ne porte aucun masque.

Apprendre à vivre, d’une certaine manière, c’est apprendre à ne pas faire semblant. Et de ce point de vue, un pratiquant d’Aikido soucieux de progresser dans la voie devrait regarder avec intérêt la naissance des petits d’hommes, y reconnaître la parenté de son art avec cet acte primordial, et s’incliner devant la femme qui donne la vie, comme on s’incline devant un maître.