Ce dessin de William Heath Robinson illustre bien le sentiment que j’ai de la manière dont est perçu parfois mon incorrigible bavardage.

Je comprends qu’on puisse être haï pour ce que l’on est, mais comment peut-on être haï en même temps pour ce que l’on n’est pas ? Ce qui est haïssable quand j’y pense, c’est de faire semblant. J’ai fait semblant longtemps il est vrai, pardonnante my, et ne pensez pas tant à mes fautes que ne pensiez bien aux vôtres.

Pour les fautes, je ne sais pas les tiennes Alcofribas, mais comme toi je prétends être plus digne de pardon qu’un grand tas de Sarabaïtes, cagots, escargots, hypocrites, cafard, frappards, moines bottés, et autres telles sectes de gens qui se sont déguisés comme masques pour tromper le monde, car je me suis trompé moi-même, mais je n’ai voulu tromper personne.

La faute est grande de ne plus faire semblant, j’ai longtemps déjà résigné ma charge aux Chevaliers du Ni – qu’on m’accorde ce fait d’armes - mais abstraire la quinte essence n’est pas chose facile. Guide-moi donc, hardi curé, hors des caniveaux où les écrivassiers trempent leur plume, et prête-moi tes mots pour dire le sabre japonais.

Qu’on sache bien tout d’abord que dans l’art du sabre long on ne marche jamais droit et sinistre, comme on fait tristement quand on est sobre. On tourne au contraire, on bistourne, on pirouette, on virevousse, on tirebouchonne, on titube d’identique manière qui convient à la quête de la dive bouteille. Mais ce n’est point de vin que virevoltent ces tourbillons, c’est divin.

Il y a six tours à la bonne abbaye de Thélème, chacune a six étages et soixante pieds de large, et par la coïncidence qu’un homme tournaille et tournicote avec son sabre dans les six merveilleuses directions, il est bon que soient nommés les chemins du grand sabre comme sont nommées ces tours : Cryère, Artique, Calaer, Anatole, Mésembrine et Hespérie, car ces six ne sont certes sans sens et sagesse.

Qu’on n’oublie jamais ensuite, tout comme il faut boire mais boire frais, qu’il faut couper fièrement mais en biais.

Qu’on ne perde aucun temps en gestes inutiles, le sabre est sobre, il est prêt, il monte ou descend selon d’où il part, mais ne part jamais de plus loin que là où il est. Faites bon usage de la pinza messeigneurs, et aussi du moyeu.

Comment se tient-on à droite ou à gauche ?

Pour trouver cela il faut couper du haut vers le bas, à la fin du mouvement les choses viennent toutes seules à leur place spontanée, ce décret de la nature ne peut être changé : pied droit devant, le sabre est à gauche, pied gauche devant le sabre est à droite.

Cherchez cela, Musashi n’a pas menti.

Ouvrez l’œil, et le bon :

Quand le pied droit est devant, c’est l’attitude résolue. Cryère est à main droite, dessus ; Artique devant droit, dessous ; Calaer devant gauche, dessus ; Anatole à gauche, dessous ; Mésembrine à gauche, dessus ; Hespérie est en arrière gauche, dessous.

Quand le pied gauche est devant, c’est l’humble attitude. Cryère est à main gauche, dessous ; Artique devant gauche, dessus ; Calaer devant droit, dessous ; Anatole à droite, dessus ; Mésembrine à droite, dessous ; Hespérie enfin est en arrière droite, dessus.

C’est ainsi qu’on tourne et qu’on frappe, en vertu du grand plan magnifique, n’en déplaise aux amblyopes, aux panouilles et autres cervelles paresseuses. Quant aux charlatans, bonisseurs et scélérats en tous genres, le Ciel les contriste.

Quand le sabre est devant la poitrine, tout ce branlement et cette billebaude se font aussi bien vers le haut que vers le bas, les choix sont plus nombreux mais la force est plus faible.

Quand le sabre est droit devant en bas, il mord furtif par-dessous, comme le serpent qui sort de son trou.

Quand le sabre enfin est par-dessus tête il ne peut que descendre. C’est seulement vers Hespérie qu’il monte, pour la raison qu’on coupe toujours dans le moment qu’on tourne, le temps manque en effet de tourner et de couper ensuite.

Ce n’est pas autrement, musard, qu’il faut travailler, car il n’y a pas plus de cinq pour aller à six. Six est la quinte essence, la mesure des spirales, le rythme du sabre flamboyant dans sa farandole de lumière. Aux antipodes danse Salomé pour la sorgue, car au final s’équilibrent le jour et la nuit, le soleil et la lune.

Il y a mille manières de porter masque et de faire semblant, mais j’estime qui se moque de soi, j’aime qui sérieusement s’amuse, car mieux est de ris que de larme écrire pour dire ce qui des hommes tient le cœur et l’esprit.

Pardon Maître en Joyeuse Existence si je t’ai ici contrefait, bénis-moi s’il te plaît d’un juron fulminant, et trinquons. Pour ceux toutefois qui cherchent la voie du sabre de vie, qu’ils veuillent bien accepter ce cadeau, il n’est pas pour tromper mais pour donner à penser.

En effet,

si de mes fardés secrets c’est le mieux caché,
il est sûr, encor’ qu’il ait mine insensée.

Car c’est Noël, et j’ai pensé à vous, voyez.

Philippe Voarino, 25 décembre 2020