Ce dossier complète le dossier #77.

J’aimerais y faire un gros plan sur le principe de déplacement unique de l’Aikido.

Tori est en hanmi et il a les deux mains saisies dans le dos.

Prenons pour hypothèse qu’il est en hanmi gauche (hidari hanmi). Il va se rendre dans le quart arrière droit du cercle de la manière suivante :

  1. Dans un premier temps, le pied arrière (le droit donc) sort en rotation vers la droite (il s’agit d’un pas sur le côté, et pas vers l’arrière). Cette action stabilise le corps et confère deux pouvoirs : frapper avec la main droite l’adversaire qui arrive sur la droite, et déséquilibrer vers la droite l’adversaire qui saisit les mains. Cette première partie du déplacement porte le nom d’irimi.
  2. Dans un deuxième temps, le pied avant (le gauche donc) sort en rotation vers l’arrière droit. Cette rotation de la hanche gauche vers l’arrière est le mouvement complémentaire de la rotation de la hanche droite vers l’avant. C’est lui qui va « terminer » le déséquilibre et la projection de l’adversaire qui saisit les mains. Cette deuxième partie du déplacement porte le nom de tenkan.

Si le premier pied a obéi au mouvement irimi et que le second a obéi au mouvement tenkan, c’est qu’un principe d’action a rendu cette combinaison possible : ce principe d’action porte le nom de tai no henka. On peut le traduire par « changement ». Tai no henka est le principe d’action de l’Aikido, irimi et tenkan sont la première division de ce principe unique en deux « forces » complémentaires. En se combinant de manière éternellement renouvelée, ces deux forces vont donner naissance aux techniques innombrables de l’Aikido. Ce jaillissement technique à partir du principe, c’est-à-dire à partir de tai no henka, c’est-à-dire à partir du changement, porte le nom de Takemusu.

Tai no henka est à l’origine de l’Aikido, et c’est pourquoi l’entraînement quotidien commence par tai no henka.

Ainsi l’Aikido est conforme à la formation de l’Univers : pour naître à la manifestation, l’unicité de l’Un s’est transformée en dualité, une « polarisation » yin et yang est apparue qui n’existait pas à proprement parler préalablement. Cette trinité est un mystère. Dans le respect des combinaisons inépuisables des deux puissances initiales d’harmonie, toutes les formes de la matière et de la vie ont pu ensuite parvenir à l’état particulier d’équilibre qui est le leur pour un temps donné.

On voit bien sur la vidéo que tenkan est indispensable pour projeter uke. Il est également indispensable pour atteindre une position sécurisée, hors de portée des attaques initiales portées par quatre adversaires.

Irimi tout seul est un leurre, tai no henka ne s’y trouve pas, c’est seulement avec tai no henka que sont conférés les pouvoirs de l’Aikido, et donc avec irimi-tenkan. Résumer l’Aikido à irimi, c’est le voiler à la face du monde. O Sensei a voulu cela. C’est le sens profond du mensonge auquel il a fait allusion à propos de son art.

On peut discuter des raisons qui l’ont poussé à dissimuler cet art derrière ce qui n’est que son apparence, mais l’erreur que nous avons tous commise fut de croire que l’Aikido nous avait été donné. C’est l’ombre de l’Aikido qui nous a été donnée. Il est vrai toutefois que suffisamment nous a été donné aussi pour faire le chemin qui sépare l’ombre de la réalité dont elle témoigne. Ce chemin encore faut-il le parcourir.

Philippe Voarino, décembre 2017.