Nous avons analysé en détail, dans le dossier #78, le déplacement qui permet de projeter uke en kokyu nage, déplacement réalisé en l’occurrence dans le quartier arrière du cercle situé du côté du pied arrière.

Revenons un instant sur les indications données à propos de ce déplacement, et prenons pour hypothèse ici également que tori a les mains saisies dans le dos en hanmi gauche (hidari hanmi).

  1. Dans un premier temps, le pied arrière (le droit donc) sort en rotation vers la droite (il s’agit d’un pas sur le côté, et pas vers l’arrière). Cette action stabilise le corps et confère deux pouvoirs : frapper avec la main droite l’adversaire qui arrive sur la droite, et déséquilibrer vers la droite l’adversaire qui saisit les mains. Cette première partie du déplacement porte le nom d’irimi.
  2. Dans un deuxième temps, le pied avant (le gauche donc) sort en rotation vers l’arrière droit. Cette rotation de la hanche gauche vers l’arrière est le mouvement complémentaire de la rotation de la hanche droite vers l’avant. C’est lui qui va « terminer » le déséquilibre et la projection de l’adversaire qui saisit les mains. Cette deuxième partie du déplacement porte le nom de tenkan.

Le texte ci-dessus est copié intégralement du dossier #78 où il expliquait la technique kokyu nage. Il est significatif qu’il puisse s’appliquer maintenant à la projection kote gaeshi sans qu’il soit besoin de changer un seul mot.

On vérifiera en effet sur la vidéo ci-dessus que le déplacement est rigoureusement identique, et que toutes les précisions données pour kokyu nage valent de la même manière pour kote gaeshi.

Cette identité de déplacement mérite un instant de réflexion. On touche du doigt ici comment un même déplacement peut déboucher sur deux techniques apparemment très différentes. Ce déplacement égal à lui-même est l’origine unique des formes variées prises par les techniques : il les engendre. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le lien (riai) qui unit entre elles les techniques : elles sont toutes reliées par leur origine commune, comme les cellules d’un même organisme sont toutes issues de la division primordiale d’une cellule originelle.

Tai no henka, le principe unique de l’Aikido, se divise au commencement en irimi-tenkan, et de cette division primordiale naissent les formes techniques innombrables, tout comme le principe d’action dans l’univers se divise en yin et yang pour donner naissance aux possibilités innombrables d’organisation de la matière.

On notera, en conservant un départ hidari hanmi, que le pied arrière (pied droit donc), quand il se déplace dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, peut initier le déplacement dans les quarts arrière droit et avant droit sans que ne bouge le pied avant (pied gauche donc). En revanche, pour se rendre dans le quart avant gauche, le pied arrière a besoin que le pied avant lui laisse le passage, c’est le rôle de l’ouverture hito e mi qui naît de la rotation. Mais le pied arrière ne peut pas se rendre dans le quart arrière gauche sans que le pied avant ne se retire complètement au préalable, dans une rotation complète qui n’est que le prolongement de l’ouverture hito e mi. Pour que le pied droit puisse se déplacer dans le quart arrière gauche en conservant le même sens de rotation contraire aux aiguilles d’une montre, il est nécessaire que ce soit le pied avant qui initie le mouvement et se déplace donc en premier dans ce quart arrière gauche.

Ceci est la manière qu’à le pied arrière de positionner l’axe du corps sur les deux bissectrices de la croix initiale virtuelle représentée par quatre adversaires. Cette croix virtuelle, qui est la croix des attaques potentielles, est représentée par les angles de 90°, 180°, 270°, 360°. La croix des bissectrices, qui est la croix des actions ou des pouvoirs de tori, est représentée par les angles de 45°, 135°, 225°, 315°. Ces angles peuvent être adoptés dans un sens de rotation unique, sinistrogyre si la garde initiale est un hanmi gauche, et dextrogyre si la garde initiale est un hanmi droit.

Cette courte explication permettra peut-être de considérer d’un œil plus averti l’exercice de coupe au sabre dit happo giri. On comprend bien en effet que les quatre premières coupes de cet exercice (shiho giri) ne peuvent pas être des coupes véritables sur des adversaires attaquant réellement dans ces angles, sans quoi uketachi resterait en permanence sur la ligne d’attaque et serait évidemment coupé.

Non, les quatre premières coupes de l’exercice ont pour fonction de définir et de positionner la croix de l’attaque, celle qui est matérialisée par quatre adversaires attaquant simultanément. Les quatre coupes suivantes de l’exercice, qui utilisent les bissectrices décalées à 45° de la croix initiale, définissent la croix des actions possibles d’uketachi par rapport à cette croix d’attaque. Les angles de ces bissectrices placent à chaque fois uketachi dans une position de sécurité, hors des lignes d’attaque, et en mesure de frapper potentiellement deux adversaires à chaque fois.

Happo giri n’est pas une gymnastique de coupe au sabre dans les huit directions. La gymnastique n’est qu’une apparence. Happo giri est en réalité un enseignement profond mais crypté sur le déplacement utilisé en Aikido, sur la représentation mentale de l’espace qui entoure uketachi, et sur l’optimisation rationnelle des actions à mener dans cet espace. Ces actions sont au nombre de huit, les huit pouvoirs nés des quatre âmes, des quatre champs du possible, ou des quatre quartiers du cercle si l’on préfère une représentation géométrique.

Etudier cela n’empêche pas de transpirer.

Philippe Voarino, décembre 2017.