Dans les exercices de base qui sont proposés comme des modèles de travail et d’étude, c’est-à-dire les kumitachi, les kumijo, ou les ken tai jo, la raison de tel ou tel mouvement peut paraître obscure.

Pourquoi par exemple dans le ken tai jo n°4 la deuxième frappe doit-elle être exécutée au genou alors qu’il serait plus court et plus définitif de frapper la tête ? On peut légitimement se poser la question puisqu’en termes de rapidité, d’efficacité et de sécurité c’est cette dernière option qui serait à privilégier. Aller frapper le genou apparaît du point de vue martial, et dans une telle situation, comme un très mauvais choix.

Mais ici comme partout il faut faire confiance à la méthode d’apprentissage. Quiconque utilise les exercices proposés dans la méthode ne sait pas encore pourquoi il doit exécuter tel ou tel geste de préférence à tel ou tel autre. La méthode ne donne pas la raison des choix qu’elle opère, ce n’est pas son rôle, l’étudiant doit se contenter de répéter ce qu’on lui demande de faire de son mieux, et surtout sans rien y changer, même s’il n’en comprend pas toujours la nécessité. Il y a un peu de foi dans cette attitude.

C’est seulement quand l’exercice de base sera développé dans un contexte martial réel – ce que la méthode n’est en aucun cas – que la raison des gestes demandés deviendra évidente. Et l’on voit clairement sur la vidéo qu’il serait impossible – dans la situation où se trouve uke jo – de frapper la tête de l’adversaire sur le deuxième temps du mouvement : la frappe gedan uchi pour le genou est donc une nécessité qui n’apparaissait pas comme telle dans l’exercice de base de la méthode.

La leçon de ceci c’est qu’il ne faut rien retrancher et rien ajouter à la méthode de maître Saito aussi longtemps qu’on n’est pas certain d’en avoir compris toutes les raisons profondes. J’avoue mon grand scepticisme sur les tentatives qui sont faites ici ou là, au plus haut niveau de l’enseignement, pour ajouter quelques kumijo et quelques kumitachi au curriculum de l’Aikido. Je ne suis pas convaincu que les professeurs qui se lancent dans ces aventures aient une vision bien complète de l’immense richesse technique que constitue le passage de la méthode pédagogique à l’authentique réalité martiale. Et il serait bien préférable de creuser cette difficile transition plutôt que d’allonger inutilement le catalogue déjà amplement fourni de la méthode.

Philippe Voarino, mai 2018.