Nous avons vu dans le dossier "Nikyo kihon" qu’il était dangereux en kotai –c’est-à-dire quand l’exercice est exécuté de manière statique – d’entrer sur l’intérieur d’uke. Seul le déplacement sur l’extérieur d’uke permet dans ce cas d’exécuter la technique nikyo sans risque d’être frappé.

Mais l’Aikido n’est pas un art statique, c’est au contraire l’art du mouvement perpétuel.

A Iwama, j’ai assisté à une scène instructive. Un élève allemand avouait à Maître Saito que ce qui le séduisait dans l’Aikido Takemusu était la capacité de passer les techniques avec puissance à partir d’une position arrêtée. Il trouvait la vertu de l’art dans cette dimension. Il tomba de haut quand Maitre Saito lui répondit du tac au tac qu’il n’avait rien compris à l’Aikido Takemusu.

En effet, si le mouvement est "arrêté" dans la méthode d’enseignement, c’est artificiellement, c’est seulement pour un objectif pédagogique. Si l’on ne comprend pas cela, on ne comprend pas l’originalité de la contribution de Maître Saito à l’enseignement et à la transmission de l’Aikido, et on ne comprend pas surtout que l’Aikido d’O Sensei est à l’opposé de cette pratique : O Sensei n’était jamais à l’arrêt, l’Aikido Takemusu n’existe qu’en mouvement.

Quand nikyo est exécuté dans sa forme kotai, on voit clairement que c’est tori qui se place de telle et telle manière en vue de passer la technique nikyo, que c’est tori qui fait nikyo, que c’est tori qui agit.

Mais cela ce n’est pas le non-agir.
Le non-agir apparaît seulement quand tori cesse de "vouloir faire" la technique. Le non-agir apparaît avec ki no nagare, c’est à dire quand la dynamique du mouvement de tori emporté par irimi-tenkan est telle que nikyo "se fait", mais sans que ce soit là l’effet de sa volonté délibérée. La technique se réalise, mais elle n’émane pas véritablement de tori qui en est seulement le vecteur nécessaire, pas l’origine.

C’est en ce sens qu’O Sensei disait des techniques de Takemusu qu’elles sont divines : elles ne sont pas produites par l’homme qui les réalise. Et c’est en ce sens qu’est vraie l’idée profonde mais souvent mal comprise qu’il est nécessaire d’"oublier les techniques" une fois qu’elles ont été apprises.

Le non-agir n’est pas l’inaction, c’est au contraire l’action parfaite du Ciel et de la Terre, une action qui s’accomplit à travers l’homme, mais qui n’est pas polluée par l’interprétation et les choix toujours hasardeux de ce dernier. On comprend alors le sens des propos d’O Sensei qui disait qu’il était l’Univers et que quiconque voulait se mesurer à lui se mesurait en réalité à l’Univers.

Ce ne sont pas les paroles d’un illuminé, elles sont l’expression d’une réalité, et c’est cette réalité que la vidéo ci-dessus s’efforce d’illustrer.